L’approche paysagère accélératrice de la transition agro-écologique

Depuis les années 1960, on constate une évolution majeure du paysage en France : en 30 ans, disparition de 500 000 km de haies et multiplication par 2 de la taille des parcelles en une quinzaine d’années. Par ailleurs, 70% des haies présentes au début du 20ème siècle ont disparu, tout comme 37 000 ha de bosquets entre 2006 et 2014. De 1947 à 1970, on estime que 50% de l’augmentation de la surface forestière est « naturelle » suite à la déprise agricole et 50% vient de reboisements « actifs ».

Le paysage change « en silence ». Cette situation s’accompagne d’une érosion des indicateurs écologiques.

Or, les terres cultivées et la forêt occupent les quatre cinquièmes du territoire français (50 % pour l’agriculture et 30 % pour la forêt). Les enjeux économiques, sociaux et écologiques qui s’attachent à ces espaces ont justifié une commande conjointe des ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement à leurs conseils généraux visant à la définition « d’outils de politique agro-sylvo-paysagères ».

Aujourd’hui la société attend beaucoup de ses agriculteurs et de ses forestiers en termes d’environnement et de cadre de vie. Selon UFC Que choisir (mai 2019), « La préservation d’écosystèmes et de paysages ruraux de qualité est un impératif reconnu comme évident par une part croissante de la population ». En effet, le paysage est ce qui est perçu par la population. C’est un outil de médiation.

Ces évolutions ci-dessus évoquées résultent d’un modèle de production et d’organisation très centralisé qui s’est mis en place en trente ans à l’échelle européenne et française, dans les conditions de pénurie alimentaire et de faible boisement qui étaient celles du territoire national en 1945. Le rapport en expose les caractéristiques et les conséquences en termes socio-économiques pour le monde agricole, mais aussi les conséquences paysagères : tendance à l’uniformisation des caractères régionaux avec une forte diminution des éléments ou des structures paysagères, notamment arborées.

Une inflexion du modèle se manifeste dès la fin des années 1980 avec les premières demandes environnementales. La réforme de la politique agricole commune européenne remplace en 1992 les prix garantis par des paiements directs puis, en 1999, rémunère les pratiques favorables aux milieux naturels. Dans le même temps la politique paysagère quitte l’exclusivité des paysages d’exception (les sites classés) pour s’intéresser aux paysages du quotidien. La « loi paysage » de 1993 officialise cette évolution un an à peine après la réforme de la politique agricole commune.

La « loi d’avenir pour l’agriculture et la forêt » de 2014 affirme le double défi économique et environnemental qui doit être celui de l’agro-écologie. Les conséquences paysagères en sont potentiellement majeures.

Après avoir défini les démarches agro-écologique et paysagère et analysé leurs liens de synergie et de complémentarité, le rapport met en évidence le lien indissociable entre ces deux démarches. Il étudie alors l’inflexion ou la mise en place des outils de politiques publiques mettant en avant l’approche paysagère comme facilitatrice de cette transition.

L’évolution ou la mise en place de ces outils doivent être guidés par trois principes :
1. La prise en compte affirmée des liens humains entre agriculteurs, forestiers et autres acteurs du territoire ;
2. Un ancrage territorial intégrant les spécificités locales, que ce soit dans le domaine agronomique, géographique, économique ou en termes de gouvernance ;
3. Une démarche de projet ascendant élaborée par les acteurs des territoires pour favoriser le changement des pratiques et ses conséquences sur le paysage.

Le rapport décline ensuite ces principes en termes opérationnels en distinguant quatre familles d’outils :

- L’accompagnement et la formation des acteurs ; il s’agit d’introduire la démarche paysagère à la double échelle de l’exploitation agricole et du territoire environnant. Pour ce faire, il est proposé :
⋅ D’inscrire cet objectif de politique publique dans la rédaction du contrat d’objectif et de performances de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture et du Programme national de développement agricole et rural 2017-2021 ;
⋅ De faire intervenir des paysagistes-concepteurs au sein des services déconcentrés de l’État et des organismes de développement agricole et forestier ;
⋅ De mettre en place des formations croisées entre l’enseignement agricole et celui des paysages ;
⋅ De renforcer l’intérêt agro-écologique et paysager de la prochaine PAC (politique agricole commune) :
⋅ (i) en renforçant l’efficacité de l’éco-conditionnalité via la BCAE 7 (bonne condition agro-environnementale relative aux haies),
⋅ (ii) en localisant de manière pertinente les SIE (surfaces d’intérêt écologique actuellement dans le paiement vert) en lien notamment avec la certification environnementale,
⋅ (iii) en rémunérant les services environnementaux rendus par l’agriculture via le projet d’eco-scheme notamment les services de captation du carbone et de préservation de la biodiversité,
⋅ (iiii) en soutenant via les futures MAEC (mesures agro-environnementales et climatiques) les projets collectifs de création et d’entretien de structures agro-paysagères.

- La certification des activités productives : il est proposé d’élargir la gouvernance des comités nationaux de l’Institut national de l’origine et de la qualité aux organismes non gouvernementaux et amplifier massivement la certification environnementale.

- La gestion du foncier : il est proposé de valoriser les retours d’expérience sur les outils favorisant des démarches collectives tels que les associations foncières agricoles, les baux environnementaux, les obligations réelles environnementales, la mise en commun d’assolements…

- La planification territoriale, en privilégiant dans ce domaine les outils porteurs d’une démarche de projet :
⋅ Les périmètres de protection des espaces naturels et agricoles périurbains nécessiteraient d’être étendus aux territoires ruraux menacés par le Mitage ;
⋅ Les schémas de cohérence territoriale devraient intégrer la fonction d’approvisionnement et ses conséquences spatiales par le biais de projets alimentaires territoriaux ;
⋅ L’établissement de chartes forestières de territoire serait plus efficace si ces dernières partaient d’une approche paysagère ;
⋅ Les espaces agricoles et forestiers dans les chartes des parcs naturels régionaux devraient être localisés et faire l’objet d’un projet agro-paysager et sylvo-paysager ;
⋅ Les appels à projet « plans de paysage » du ministère de la transition écologique et solidaire, outils spécifiquement dédiés à la qualité paysagère, pourraient être ciblés, selon les années, sur les démarches paysagères agricoles et forestières à mener dans les territoires ruraux ou périurbains.

Le rapport propose, en dernier lieu, d’illustrer les grands axes et les inflexions de politique publique qu’il propose, au moyen de projets démonstrateurs identifiés à l’occasion d’un appel national à manifestation d’intérêt. Le ministère en charge de la transition agro-écologique pourrait en confier la réalisation à l’un des rares réseaux d’ingénierie implantés dans le monde rural que sont les Conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement en liaison avec les chambres d’agriculture.

Le rapport des CGEDD et CGAAER dans sa totalité ici (février 2020)

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